Par ordre d’apparition :

Armin Turing. 1973, Munich, Allemagne.
Artiste essentiellement actif dans le domaine de la performance,  il emploie le principe du « stalking ».

Innumerat Roselare. 1970, Du Bois, Pennsylvanie, Etats-Unis.
Artiste qui a inventé un langage conceptuel questionnant la position des nombres dans la société. 

Bernard Leroy. 1975, Mississauga, Canada.
Performeur et activiste. Leroy crée des situations qui rompent la passivité du spectateur. Défenseur des solutions environnementales et durables dans les régions urbaines.

Johannes Korstjens. 1980, Haarlem, Pays-Bas.
Photographe qui utilise une série de webcams dispersées sur le web et explore la dynamique du paysage en manipulant la réalité.

Lima Drib. 1961, Liverpool, Angleterre.
Crée des installations, sculptures et œuvres de technique mixte détournant les techniques de l’information.

n.e.b.u.s.i. 1968, Arménie.
Crée une œuvre dont les qualités artisanales – finition parfaite et nature tactile – témoignent d’un réel savoir-faire. Intéressé par les techniques et les matières, il travaille principalement dans le domaine de la gestion de données.

Délia Sheehy (Digi_Shelf). 1971, Limerick, Irlande.
Artiste 3D qui travaille essentiellement dans le domaine des arts médiatiques et se consacre à la présentation des caractéristiques, du format et du contenu des œuvres de VA.

Willy (Depp) Depoortere. 1979, Poperinge, Belgique.
Se spécialise dans la photographie au sténopé; l’image apparaît et s’imprime en négatif, mais il atteint une illusion de la réalité par le maniement des ombres et des lumières. Œuvre qui oscille entre le réel et le virtuel.

Aude Thensiau. 1975, Marseille, France.
Crée des compositions ou des mises en scène d’images alternant entre reconnaissance et folie. Œuvres inspirées par la drogue où se mêlent réel et imaginaire.

Christl Coppens. 1986, Gand, Belgique.
Crée des vidéos et des œuvres de technique mixte et utilise des expériences quotidiennes comme point de départ de l’œuvre. 

Martaque, Jamila Al Khawarizm. 1973, Cascais, Portugal.
Crée des dessins et des œuvres de technique mixte en appliquant un langage poétique mathématique. Ses dessins présentent des connexions accidentelles et inattendues tirées de rassemblements de masse comme les événements sportifs.

Steina Zooeydottir.1981, Bolungarvik, Islande.
Historienne et réalisatrice qui s’intéresse à la question de la « fictionnalisation » de l’histoire par les anecdotes.

Wijlen Trudo Engels. 1962-2009. Roeselare, Belgique.
Etait un artiste actif dans le domaine de l’installation, et considérait chaque installation comme faisant partie d’un ensemble dans lequel processus, formule et esthétique globale sont essentiels. A sa mort, VA décide collectivement de poursuivre son œuvre sous le nom de Wijlen Trudo Engels (Feu Trudo Engels).

Valereson Da Silva. 1971, Pindamonhanga, Brésil.
Artiste qui réalise des installations et des performances avec des aliments, véritables pièges comestibles qui résistent à la logique de contrôle du système capitaliste.

Ana Omandichana, eraser. 1984, Siroki Brijeg, Bosnie-Herzégovine.
Artiste qui travaille essentiellement le dessin et vise à créer des œuvres dans lesquelles l’art produit est effacé ou dissimulé, tout en laissant quelques indices de création.

Cindy Janssens. 1985, Maastricht, Hollande.
Travaille à partir d’objets trouvés et, en choisissant le « beach combing » comme sujet, entreprend une critique de la société technologique actuelle.

Freddy Grant. 1952, Kilarrow, Ecosse.
Artiste qui pratique la marche et interroge les concepts de mouvement et de mémoire. Il considère que la marche lui permet d’atteindre une compréhension profonde de la manière dont la mémorisation joueun rôle dans son œuvre. Sa pratique est à l’origine de Boucalais, une collaboration à long terme dans laquelle VA est impliqué.

Martn Coppens. 1986, Gand, Belgique. 
Rejoint Various Artists avec sa sœur jumelle Christl Coppens en 2004. Ils décomposent des images, textes et sons pour les recomposer et créer un nouvel ensemble. Dénommés tous deux des « fragmentaristes ».

Robert Ingelbrec. 1982, Stockholm, Suède.
Artiste qui travaille le dessin comme forme de résistance à l’économie de marché et interroge les systèmes binaires.

Diederick Dewaere. 1974, Saint-Etienne, France.
Architecte. Dans ses recherches pour « déchiffrer l’urbain », il s’intéresse à l’idée de l’espace public comme espace non privatisé.

Marcella.B. 1955, Arnhem, Pays-Bas.
Artiste qui interroge le monde de l’entreprise et l’économie de marché capitaliste de manière critique en réalisant des tableaux de données appelés « poésie de données ».

Morice de Lisle. 1955, Kinshasa, Congo.
Artiste qui travaille dans le domaine de la performance. Il refuse de laisser photographier ses actions, dont les règles altèrent ou limitent le travail des autres artistes. Il est l’un des artistes les plus radicaux de VA.

Sufferice, Albert Savereys. 1964, Petegem, Belgique.
Ses œuvres sont créées au moyen de principes arbitraires; des valeurs telles que  « l’inspiration », « le génie » ou « l’authenticité » sont neutralisées et mises en perspective.

Hélène Aude Thensiau. 1976, Marseille, France. 
Son œuvre s’essaie à redonner un sens poétique à la vie quotidienne; ses sculptures et performances dégagent une violence froide et latente. 

 

 

                                                               #

 

 

Wijlen Trudo Engels: depuis 1996, Trudo Engels n’est plus actif en tant qu’artiste. Il a essentiellement consacré son temps à la co-gestion de l’espace nadine à Bruxelles (1). Il a donc semblé logique que Trudo Engels « ait un accident mortel », pour ainsi dire, au sein de VA. C’est ainsi que Wijlen (« Feu ») Trudo Engels s’est ajouté aux Various Artists, ce qui lui offre la possibilité de se développer en tant qu’« Open Artist » aussi bien dans le futur que dans le passé. (VA)

A la manière d’un acteur habitant plusieurs vies le temps d’une fiction, d’une représentation ou d’une œuvre, Trudo Engels invente en 1995 Various Artists (VA), groupe constitué d’artistes fictifs. Compagnons de jeu, compagnons de vie, ils se multiplient au hasard des rencontres et forment aujourd’hui un groupe de vingt-quatre artistes virtuels. Actions, performances, promenades, photographies, dessins, vidéos et films interrogent la figure de l’artiste comme producteur d’objets ainsi que les valeurs qui lui sont associées. La dimension ludique invite à la perte des références critiques habituelles au sein d’un processus qui se modifie à chaque instant et oscille en permanence entre réel et fiction. 

 

L’hétéronymie chez VA fonctionne comme principe et moteur de création d’une identité fictive, comme un sigle, un dispositif conceptuel, un instrument de critique de notre société de consommation et de spectacle qui voue un véritable culte à la personnalité et au génie de l’artiste. 

Chaque hétéronyme a sa propre personnalité, et les œuvres des différents artistes fictifs sont distinctes.

Durant la première phase, de 1995 à 2009, le parcours de chacun des Various Artists a été élaboré, des œuvres ont été produites et des collaborations effectuées entre eux.                                                      

Chacun des vingt-quatre artistes travaille selon des axes spécifiques et possède une identité artistique propre. Si elle agit toujours masquée, il s’agit d’une famille ou tribu dont la somme des actions et des productions permet pourtant d’identifier des points de convergence. 

Développer de nouvelles méthodes de création, produire autrement, brouiller les règles, les classifications, les listes, remettre en question la figure de l’artiste dans un agencement fictionnel, conceptuel et critique sont quelques-unes de ces lignes de force. VA, identité artistique fictive, fonctionne selon ses propres règles du jeu. Il s’agit d’une reconfiguration des formes de perception habituellement érigées par la société.

Les règles constitutives de ce jeu servent de support à une société secrète, une secte dont les membres imaginaires se plient à des règles au sein d’un univers à la fois fictif et réel. Cette entreprise nihiliste de déréalisation de l’art et de son histoire par la manipulation de fictions procède de la mise en examen de la société de consommation, questionne l’autorité, la circulation marchande de l’objet d’art identifié ou personnalisé. Le web constitue un outil idéal pour l’élaboration de la fiction, puisque son usage ne permet pas toujours de distinguer le factuel du fictionnel. La multiplication d’identités fictives au moyen du web abolit toute limite; l’information n’étant pas vérifiable, réel et fiction se confondent. De plus, tout tient dans un disque dur.

On pense également aux TAZ, Zones Autonomes Temporaires, décrites par Hakim Bey comme des opérations de guérilla qui libèrent une zone de terrain, de temps ou d’imagination puis se dissolvent avant que l’Etat ne les écrase, pour se reformer ailleurs dans le temps et dans l’espace. Pour l’auteur la TAZ est le seul espace où l’art peut exister, pour le pur plaisir du jeu créatif.

« Nous recherchons des “espaces” (géographiques, sociaux-culturels, imaginaires) capables de s’épanouir en zones autonomes – et des espaces-temps durant lesquels ces zones autonomes sont relativement ouvertes, soit du fait de la négligence de l’Etat, soit qu’elles aient échappé aux arpenteurs ou pour quelqu’autre raison encore. » (2)

Le nihilisme, qui dénie toute signification à la société, toute vérité ou toute valeur, s’étend à l’ensemble des VA. En refusant de laisser photographier ses performances, Morice de Lisle, l’un des plus radicaux, met au défi la société de voir ou d’exposer son travail.

Quelques principes ou mots d’ordre permettent d’identifier cette « famille » :
Questionner l’Histoire en y introduisant des anecdotes.
Fragmenter des images, des textes, des sons.
Créer un langage poétique mathématique.
Affronter l’économie de marché capitaliste.
Interroger les informations douteuses sur les produits alimentaires industrialisés.
Créer de fausses pistes.
Etablir des liens entre une réalité écologique et le monde industrialisé.
Explorer le paysage au cours de promenades nostalgiques qui intègrent l’art du souvenir.
Travailler sur les notions d’authenticité et d’objectivité.
Elaborer des stratégies contemporaines dans un contexte quotidien.
Exercer l’art comme de l’activisme et pouvoir interagir avec le monde.
Capter l’énergie d’un espace et ses vibrations émotionnelles ou spirituelles.
Déchiffrer l’urbain.
Documenter un événement? une performance? à partir de descriptions et d’idées d’autres personnes.
Rejouer l’œuvre à chaque exposition.
Marcher comme métaphore de l’homme en quête incessante.
Inventer un langage conceptuel, Innumerat, qui questionne la position des nombres dans la société.
Interroger les systèmes binaires: moi/l’autre, cannibale/civilisé...
Effectuer des expérimentations avec des aliments mortels, des pièges comestibles.
Elaborer des techniques d’espionnage qui témoignent des stratégies de surveillance globale dans notre société.
Parodier les médias.
Pratiquer la photographie au sténopé, image positive et négative.
Effacer l’art qui a été produit.
Créer des images poétiques « agitées ».
Trouver un sens poétique à la vie quotidienne.

VA  est conçu comme une œuvre autonome qui se déroule en plusieurs actes ou phases. Celles-ci sont unies l’une à l’autre de manière indissociable et inextricable. VA est une performance qui se revendique comme Œuvre d’art Totale.

La volonté d’utiliser simultanément plusieurs disciplines artistiques et de les unir s’inscrit dans le concept esthétique de la Gesamtkunstwerk ou Œuvre d’art Totale.

Si ce concept apparaît pour la première fois en 1827 dans le traité d’esthétique de Trahndorff, il sera réalisé par Wagner en 1859. S’inspirant de la tragédie grecque, celui-ci vise à créer l’œuvre de l’avenir qui mêlera de manière indissociable musique, poésie, chant, danse, théâtre et arts plastiques. Cette œuvre porte implicitement en elle l’idée de la performance dans le sens où elle induit le dépassement de chaque discipline au profit de la totalité. Cette réconciliation de l’art, du monde et de la vie, ce mythe de la synthèse des arts sera non seulement présent chez les avant-gardes du début du XXe siècle, mais sera revisité tout au long du siècle et en notre début de XXIe siècle.

Estomper les limites entre théâtre et arts plastiques, entre théâtre et vie, entre art et vie est un des principes d’action mis en place par VA. La proximité constitutive de l’art de la performance avec le théâtre brouille les territoires entre fiction et réel.

L’identité narrative des VA est liée à l’usage des masques. Paradoxalement Persona en latin désigne le masque que portaient les comédiens du théâtre grec.  
« Le droit de la personne et du corps pourrait être nommé le droit des masques. Persona, à Rome, c’est le masque de théâtre de l’acteur, et le rôle joué par lui, qui devait parler avec éclat (sonare), c’est-à-dire à la fois le signe et l’action représentée. La modernité a révisé cette étymologie, sous la double influence (souvent contraire) du christianisme et du rationalisme, exprimant l’un et l’autre la croyance en une nature singulière de la personne, divine ou rationnelle. (...) Un retour à l’origine étymologique romaine où le masque n’était qu’un signe, est-il aujourd’hui pensable ? A l’image des Masques Bambara ou des masques Grecs de Dionysos, la personne, et le corps ne seraient alors que des récits créant un monde de signification qui institue le sujet. L’humanité serait alors ce récit. Il n’y aurait “personne” derrière le masque. » (3).

La question du spectacle est celle d’un spectacle vécu au sens où Antonin Artaud le concevait : « rendre à l’acteur la place qui lui revient comme seul vrai témoin des sentiments humains ou la figuration d’une vie vécue au même moment où elle se fabrique ».(4) Il s’agit de faire en sorte, comme le notait Artaud dans le Théâtre de la Cruauté, que la réalité de l’imagination apparaisse de plain-pied avec la vie. Dans une lettre adressée à Jean Paulhan datée du 25 janvier 1936, à bord du paquebot qui le conduit au Mexique, ce dernier lui annonce :
« Je crois que j’ai trouvé pour mon livre le titre qui convient.
Ce sera :
Le théâtre et son double  

Car si le théâtre double la vie, la vie double le vrai théâtre »… (5) 

La performance unit arts plastiques et théâtre car c’est le corps qui constitue l’unité des arts du spectacle et de la performance. Corps, temps et espace sont essentiels. La multitude d’identités réside dans l’être et ses innombrables masques. Les arts plastiques et la littérature ont souvent œuvré dans un espace situé entre réel et imaginaire qui repousse constamment les frontières du réel.

La création des premières performances pourrait revenir à Arthur Cravan, poète et boxeur, considéré comme le précurseur des dadaïstes. Sa vie est son œuvre.
« Je suis toutes les choses, tous les hommes et tous les animaux ! » (6)

Né Fabian Avenarius Lloyd en 1887,  c’est à partir de 1910 qu’il commence à se faire appeler Arthur Cravan.
On ne sait pas pourquoi il a privilégié ce pseudonyme qui peut aussi bien être un anagramme, un nom de ville, une espèce de volatile (type oie sauvage) ou un mystérieux correspondant de Clément Marot.
Il lui arrive aussi de se faire appeler Édouard Archinard. Il est possible qu’un véritable Archinard ait existé, dont Cravan aurait, avec ou sans son consentement, usurpé l’identité. En tout cas, en ce qui concerne W. Cooper, E. Lajeunesse, Marie Lowitska ou Robert Miradique, on est sûr qu’il s’agit bien du même Arthur Cravan… Il ne manque jamais de parler de lui-même comme d’Arthur Cravan-neveu-d’Oscar-Wilde. (7)

Marie Lowitska écrira dans le numéro de mars-avril 1915 de la revue littéraire Maintenant, dont Cravan était le directeur, un article sous le titre: PFF.
« Il est plus méritoire de découvrir le mystère dans la lumière que dans l’ombre.
Tout grand artiste a le sens de la provocation.

Les abrutis ne voient le beau que dans les belles choses ». (8)

Décidant de changer d’identité et par la même occasion de sexe, Marcel Duchamp invente Rrose Sélavy en 1920; son alter ego est une femme d’affaires accomplie, réalisatrice d’avant-garde et éditrice. 

Avant elle, il usa du pseudonyme de R. Mutt pour Fountain, urinoir en céramique envoyé lors de la première exposition de la Société des Artistes Indépendants, dont il était membre fondateur, à New York en 1917. 

Fresh Widow, de 1920, est la première œuvre signée par son alter ego féminin.
Wanted $ 2,0000 Reward en 1923 consiste en un avis de recherche sur lequel sa photographie apparaît et au-dessous de laquelle est écrit :
« For information leading to the arrest of George W. Welch, alias Bull, alias Pickens etcetery, etcetery. Operated Bucket Shop in New York under name HOOKE, LYON and CINQUER. Height about 5 feet 9 inches. Weight about 180 pounds. Complexion medium, eyes same. Known also under name RROSE SÉLAVY. »

Dans l’œuvre de Fernando Pessoa, l’invention hétéronymique, sa plus grande création esthétique, lui permit de créer d’autres vies et d’imaginer de nouvelles œuvres avec la complicité d’Álvaro de Campos (1869-1919), Ricardo Reis (1887-?), Alberto Caeiro (1890-1935) pour ne citer que les principaux. Ses « personnages » ne sont pas seulement des pseudonymes mais des poètes qui incarnent à ses yeux des œuvres différentes, lui permettant d’expérimenter d’autres formes d’écriture.

La fable de Borges écrite sous le nom de Suarez Miranda, Viajes de Varones Prudentes, qu’il prétendit avoir trouvée dans un livre publié en 1658 à Lerida, en Catalogne, remet en cause la notion d’auteur et traite de l’art de la cartographie, représentation exacte de la réalité où le simulacre se substitue à l’original.

Mais c’est sans doute avec Salinger, chez qui les mêmes personnages réapparaissent d’une nouvelle à l’autre et chez qui la fiction devient une histoire de famille que les affinités sont les plus grandes. Salinger vit avec ses personnages: la fiction s’est emparée de la vie. Sur la quatrième de couverture de son livre Franny and Zooey, paru en 1961, l’auteur l’énonce lui-même : 
« It’s a long-term project, patently an ambitious one, and there is a real-enough danger, I suppose, that sooner or later I’ll bog down, perhaps disappear entirely, in my own methods, locutions, and mannerisms. »

La majorité des VA utilise la langue Innumerat, qui substitue des chiffres aux lettres. Cette langue fonctionne à partir d’analogies visuelles entre les chiffres et les lettres mais est aussi un code crypté qui a pour fonction de protéger les VA du monde extérieur. Sa création date de 1999 et elle est jouée par Innumerat Roselare.

Elle explore l’apparition discordante des nombres dans le contexte de la culture contemporaine dans laquelle sont produits des œuvres, des chansons et des enregistrements. La dimension devient chanson, la quantité devient parole. Ce discours d’apparence simple mais poétique est présenté à VA et sert de guide pour les situations où les mesures et le dénombrement ont une importance. Cette langue est aussi une création de non-sens, d’absurde, une langue au départ parlée avant d’être écrite. 

L’édition numérique de livres consacrés à chaque artiste renforce l’identité de chacun et sert également de manuel à l’usage de futurs AV.

 

Une autre phase, commencée en 2009, se compose des sessions Being an Artist, qui consistent à mettre VA à la disposition d’autres artistes (AV), leur permettant ainsi de s’émanciper de leur propre pratique artistique. Présentations, conférences, ateliers et production sont élaborés en relation avec la vie et l’œuvre d’un VA. Le VA en est l’auteur, mais les œuvres produites restent la propriété des artistes ayant contribué au processus. Cette société dont les membres se plient à des règles dans un univers fictionnel confère à cet univers une objectivité et une indépendance. 

Certains livres sont consacrés à des expériences communes, comme c’est le cas pour Boucalais. Vingt-et-un voyages ont déjà été réalisés entre Boulogne et Calais: Boucalais.

A la sortie du train de Boulogne, un VA marche jusqu'à Calais puis reprend le train. Il s’agit d’un atelier mobile, d’un studio spatial, d’un état d’esprit. Ces sept dernières années, Boucalais a exploré le même chemin et ses infinies différences. Constituant l’atelier préféré des VA, il rend l’expérience accessible aux autres: Being Boucalais.

Being Boucalais est comme une performance d’où émerge une œuvre visible au fil de la promenade ou à des endroits prédéfinis de celle-ci.
Being Boucalais est une promenade qui permet aux artistes participants de produire des œuvres différemment.

La randonnée est considérée d’une part comme un atelier itinérant, d’autre part comme une œuvre collective.
Tous ces aspects de Being Boucalais – performance, production, voyage, atelier, œuvre d’art collective – sont intimement liés. Impossible de les hiérarchiser: ils se complètent. Pour comprendre l’œuvre dans son ensemble, il convient de prendre en considération tous les éléments du projet.
La promenade fera l’objet d’un aller-retour.

D’expérience, les VA savent qu’un trajet a deux visages, parfois aussi différents que le jour et la nuit. (VA)                                   

Une autre phase de VA est entamée en 2011 et approfondit le processus. La collaboration, fictive ou réelle, se mélange à l’œuvre de VA, de nouvelles œuvres sont réalisées et les artistes liés à Being an Artist peuvent se produire ou même initier des projets collectifs. L’art comme expérience participative, la dimension esthétique et politique de l’expérience commune rappelle certaines instructions participatives des happenings des années 70 et d’Allan Kaprow.

Les deux années à venir seront consacrées à l’affranchissement des VA. Les Various Open Artists ou VOA, artistes préalablement initiés, seront alors libres de compléter le passé et le futur des VA. La figure dirigeante prendra moins d’importance alors que l’ouverture et l’accessibilité du processus iront en s’accroissant. L’entreprise de dé-réalisation de l’art, l’attaque en règle et la mise en cause du système artistique au sein du capitalisme auront alors atteint leur point de non retour. Au sein de cette nouvelle configuration, le modèle théologique de l’art sera détruit. 

VOA deviendra l’œuvre d’un collectif et constituera un processus favorisant le dialogue entre toutes les parties concernées – un projet de création à venir qui de par sa nature est imprévisible.                                          

Le Château réalisé en 2012 à la Galerie Luisa Strina sera la première grande « Œuvre Totale » au sein de laquelle cinq artistes interprèteront sept VA.

Neuf VA participent à une performance: Morice de Lisle, Diederick Dewaere, Liam Drib, Christl Coppens, Martn Coppens, Valereson da Silva, Marcella.B., Cindy Janssens et Zooeydottir.

Morice de Lisle, artiste/activiste dont les règles altèrent ou limitent le travail des autres VA, jeûnera pendant un mois, période pendant laquelle il ne boira que de l’eau. 

Cet artiste/activiste – l’un des plus radicaux des VA – refuse de laisser photographier ses actions. L’état d’abstinence affaiblit physiquement l’artiste/activiste et dans le même temps renforce mentalement son action. Traditionnellement cet acte de résistance passive est aussi un acte symbolique utilisé comme arme dans le domaine politique. Transféré dans le domaine artistique, il en subvertit les règles. Cette action symbolique est aussi une action politique dirigée contre l’industrie agroalimentaire.

Depuis l’apparition des fermes industrielles et l’industrialisation de notre alimentation, l’obésité et les maladies liées à l’alimentation se répandent largement. Alors que des millions de gens meurent de faim, il arrive de plus en plus fréquemment que de vastes ressources soient déployées pour des cultures destinées à l’exportation dans des pays où les gens n’ont pas assez à manger. (VA) 

« La faim est le résultat de l’action humaine » (9)

Si 30% des terres en friche de la terre étaient remises en culture, cela suffirait à nourrir la planète et à se passer de l’industrie agroalimentaire. 

« Changer la façon dont nous mangeons ne changera pas le monde, mais peut commencer à nous changer, et ensuite nous pouvons participer au changement du monde ». (10)

Un château de biscuits « sera monté dans la Galerie Luisa Strina à São Paulo avec des produits pré-emballés achetés dans des magasins de nourriture bon marché. Ces aliments auront une influence à long terme sur la santé de ceux qui s’en nourrissent soit par nécessité, soit par choix. Ces aliments industriels auxquels sont ajoutés sucres raffinés et additifs de type E sont des produits transformés qui offrent les marges bénéficiaires les plus élevées et font l’objet de campagnes publicitaires particulièrement agressives à destination du public. » (VA) 

Contexte et lieu de présentation sont essentiels à la mise en œuvre de ce projet. La galerie Luisa Strina devient une scène de théâtre. L’action de jeûner et celle de remplir l’espace pour le transformer en château de biscuits sont indissociables et constituent une seule et même performance. L’installation expose un appartement: salle de séjour, chambre, cuisine, le tout composé au moyen de paquets de nourriture industrialisée qui se substituent à notre espace quotidien, comme si la sphère du privé n’existait plus, envahie par l’industrie agroalimentaire.

L’expérience de la faim dramatise l’action et contamine l’installation. Le jeûne et l’action de remplir l’espace d’aliments industrialisés produit un choc des contraires. L’espace est mis sous tension, empli d’une densité et d’une force issues de ces oppositions : corps/nourriture, résistance individuelle/société de consommation, spectacle/huis clos, visible/invisible, esprit/corps, corps/matière. Dans cet exercice de dramaturgie, le contrôle de la sensation de faim, dépendant d’une décision de la volonté, participe d’une revendication du pouvoir sur son propre corps et réfute la loi d’obédience érigée par la société. La performance s’empare de ce choc des contraires pour les mettre en scène et leur donner ainsi tout leur sens et leur force. La relation sujet/objet s’opère dans la tension, l’œuvre se situant exactement à l’intersection de ces deux actions.

Cet acte de résistance renvoie au principe de désobéissance civile prôné par Henry David Thoreau, qui propose une philosophie de résistance individuelle non-violente à une société jugée injuste. 

C’est en 1849 dans Résistance au gouvernement civil, intitulé de façon posthume La Désobéissance civile, que Thoreau met par écrit ses positions politiques et idéologiques. Prenant comme point de départ son incarcération de courte durée pour avoir refusé de payer l’impôt, il prône la résistance passive en tant que moyen de protestation.

La désobéissance civile, idée d’une résistance individuelle à un gouvernement jugé injuste, est considérée comme étant à l’origine du concept contemporain de non-violence et influencera de nombreuses figures politiques ou littéraires : Gandhi, Luther King, Tolstoï. Cet engagement passif se situe sur le plan individuel, la seule obligation étant de faire en tout temps ce que l’on estime juste.

La relation politique/poétique est posée en ces termes par Francis Alÿs :
« Sometimes doing something poetic can become political and sometimes doing something political can become poetic ». (11)

On ne peut pas ne pas évoquer Kafka et la manière dont, chez lui, la société et l’individu s’affrontent dans un combat inégal et sans merci.

Dans une lettre écrite à Oskar Pollak le 27 janvier 1904 Kafka énonce :
« Je crois qu’on ne devrait somme toute lire que des livres qui mordent et piquent.
Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon lire ce livre ? » (...) (12)

Dans L’Artiste de la Faim, conte écrit à la fin de sa vie, il met en scène une métaphore del’artiste et de sa condition. Ce conte a servi d’inspiration au Château.

« L’intérêt pour les artistes du jeûne a considérablement diminué ces dernières décennies. Alors qu’auparavant cela valait la peine de monter de grandes productions indépendantes de ce genre, c’est désormais inconcevable. C’était un autre temps. A l’époque, la ville tout entière se préoccupait de l’artiste du jeûne ; de jour de jeûne en jour de jeûne, la compassion croissait ; chacun voulait voir l’artiste du jeûne au moins une fois par jour; à la fin, il y avait des spectateurs qui restaient assis des jours entiers devant la petite cage ; il y avait également des visites pendant la nuit dont l’effet était intensifié par la lumière des torches; les jours de beau temps la cage était exposée à l’air libre et l’artiste était montré spécialement aux enfants. » (13)

Rompre la passivité du spectateur, introduire des tensions confinant à l’insoutenable qui prennent le public en otage pour mieux le confronter à une nécessaire prise de conscience: à l’art est conféré un pouvoir. Au pouvoir de l’art comme projet esthétique répond le pouvoir de l’esthétique comme projet politique.
La fiction a envahi le réel.
Les personnages sont fictifs, les actions sont réelles. 

 

Catherine Bompuis

 

(1) nadine est un terme générique qui désigne un espace de travail/laboratoire artistique à Bruxelles. n0dine est l’espace de travail ( ou « “buratinas »”) qui abrite Various Artists au sein de la structure existante nadine . n0dine est le miroir virtuel de nadine.
n0dine = Various Artists.
Les Various Artists ont un accès permanent à n0dine.
n0dine peut prendre de nombreuses formes, par exemple une excursion, un festival, une visite de musée ou un vVoyage en bus.

(2) Hakim Bey , TAZ. Zone Autonome Temporaire, p. Première édition française. Editions de l’Eclat, Paris, 1997.

(3) Gilles Lhuililer, « L’homme-masque. Sur la dimension anthropologique du droit », in Revue Methodos, Savoirs et textes, N.4, /2004.

(4)(5) Antonin Artaud, OeuvreŒuvres. Editions Gallimard, Paris, 2004.

(6)(7)(8) Arthur Cravan, Maintenant. Revue Littéraire, L’Ecole des lettres, Seuil (L’Ecole des lettres), Paris, 1995.

(9)(10) Frances Moore Lappée.F, Diet for a Small Planet. Ballantine Books, New York, 1991.

(11) Francis Alÿs, A Story of Deception. catalogue de l’exposition Francis Alÿs, Tate Modern, Londres, 2010, Wiels, Centre d’Art Contemporain, Bruxelles, The Museum of Modern Art, New York, 2011.

(12) Jean-Claude Lebensztein, « Seuil (Vacarme 43/ Cahier .nNotes sur Kafka 2) », in par Jean-Claude Lebensztein. Vacarme, 43, printemps Seuil, Paris, 2008.

(13) Franz Kafka, Essencial. Companhia das Letras, São Paulo, 2011.